B. nous a confié anonymement son témoignage sur sa préparation, ou plutôt sa non préparation, à la maternité. Malgré ses lectures, elle regrette que rien ne l’ait alertée sur le chamboulement qui allait entrer dans sa vie. Elle aime sa fille mais elle a vécu de plein fouet ses changement bouleversants. Ils ont de plus mis en lumière les grosses inégalités qui persistent dans les couples hétérosexuelles.
Deux ans déjà que ma fille est née. Depuis, ma vie est quelque peu sens dessus dessous. Je suis totalement dépassée, épuisée par tout ça ! Je savais que ça serait pas toujours une partie de plaisir mais très loin de ce que mon cerveau et mon cœur avaient imaginés.
J’ai beaucoup lu pendant la grossesse. J’étais prête pour l’accouchement et le post-partum. Tout ça, c’est plutôt bien passé finalement. Mais j’étais loin d’être préparée au marathon que serait la suite.
Je me demande comment aurais-je pu mieux me préparer.
Comment aurais-je pu me préparer à ce rythme effréné, sans pause?
Mes journées sont réglées comme une horloge : quand elle pleure vers 5h30-6h30, amener ma fille dans notre lit, l’allaiter (avant) ou lui amener un biberon (maintenant), s’allonger à côté, faire des câlins, se lever, préparer le petit-déjeuner et les boîtes du midi, réveiller mon conjoint, manger, s’habiller, se préparer, aller récupérer la carriole et le vélo au sous-sol, aller à la crèche puis au bureau, travailler, déjeuner sur le pouce, regarder l’heure, aller récupérer ma fille à la crèche, jouer dehors devant la crèche, rentrer à la maison, jouer, appeler nos familles, dîner, prendre la douche, se laver les dents, se mettre en pyjama, lire des livres, coucher ma fille, me poser un peu, travailler, aller me coucher. Tous les jours, pas de pauses. Même les week-ends, où s’ajoutent le ménage, les courses, la cuisine pour la semaine.
Je suis plutôt du genre active. J’ai toujours mille projets (professionnels et personnels). Mais là, impossible de les réaliser, je n’ai plus le temps. J’ai essayé d’en faire un peu le soir. Jusqu’aux dernières vacances d’été. J’ai fini épuisée. J’ai ensuite décidé d’arrêter de travailler le soir, de plutôt faire des choses personnelles. Mais c’était toujours trop. En novembre, mon corps a dit stop : les douleurs au dos m’ont achevé, je n’arrivais plus à les gérer.
Je ne vais plus au bureau tous les jours (merci le télétravail), on se répartit les allers-retours à la crèche, une baby-sitter vient un soir par semaine. Je vais me coucher juste après ma fille. Tant pis pour les projets, ils attendront. C’est dur à accepter, mais je n’ai pas le choix. J’espère que ça ne durera qu’un temps, que je retrouverais des forces, que ma fille pourra jouer un peu plus longtemps seule, qu’on refera des trucs qui sortent du quotidien les week-ends.
Comment aurais-je pu mieux me préparer à la dépossession de mon corps ?
Mon corps, avant, je n’y pensais pas trop. Globalement il faisait son job, et j’en étais plutôt contente.
Lorsqu’on a essayé d’être enceinte, j’ai commencé à détester ce corps qui n’arrivait pas à être enceinte et qui avait éjecté une première forme de vie. Pendant ma grossesse, j’ai ensuite détesté ces changements que je ne maîtrisais pas et les douleurs qu’il m’infligeait. Je l’ai détesté de me forcer à m’allonger, me reposer, de lever le pied. C’est quelque chose que je ne savais pas faire entre les mille projets en cours, les déplacements ou le sport. Mais là, il ne voulait pas : pas que je continue de travailler à 200%, pas que je voyage, pas que je fasse du sport. Même le vélo pour les déplacements quotidiens, il a dit non. J’ai commencé à me sentir nulle, pas à la hauteur.
Je pensais que ça ira mieux après la naissance. Mais non ! Allaitement, les douleurs, un corps qui met trop de temps à revenir à sa normale, le sport que je n’arrive pas à reprendre, mon système immunitaire qui vacille et maintenant ces douleurs intenses qui ne s’arrêtent pas.
Mais ce corps qui est censé rester le mien, je m’en sens aussi dépossédée. D’abord par la grossesse, j’ai dû laisser ce petit être prendre lentement possession de mon corps. Ensuite l’allaitement.
Malgré des débuts d’allaitement difficiles et douloureux, j’ai aimé ce contact peau à peau avec ma fille. Mais, peu après ses 18 mois, elle a commencé à parler des seins, des tétons, des siens mais surtout des miens, comme s’ils lui appartenaient. Un sentiment s’est installé en moi : l’impression que mon corps, tout au moins mes seins, appartenait plus à ma fille qu’à moi. Les douleurs ont commencé à revenir. J’ai commencé à repousser ma fille lorsque je trouvais les tétées trop longues. J’avais envie d’arrêter d’allaiter, mais je ne l’avouais pas, ni à elle, ni à mon conjoint, ni à moi. J’avais besoin de reprendre le dessus.
J’avais envie de symboliser cet allaitement et ma maternité. Après des mois de réflexion, l’idée du tatouage s’est imposé. Mon premier. J’ai mis du temps à passer à l’action. Un jour, j’ai finalement fait les démarches et contacté une tatoueuse. Or pour se faire tatouer, je ne devais plus allaiter. Je prends un rendez-vous : quelques jours après ses 2 ans. J’ai une date de fin pour cet allaitement. Je reprends doucement possession de mon corps. Finalement, l’allaitement se finit brusquement 2 mois avant le tatouage : médicaments incompatibles avec l’allaitement. Ça me soulage.
Même si ce sevrage s’est plutôt bien passé, ma fille veut toucher mes seins , les voir, leur faire des bisous. Elle cherche le contact avec ma peau, comme si les tétées lui manquent. Au début, ça ne me dérange pas trop. Mais au bout de quelque temps, ça me pèse. Je veux mon corps, pour moi. De plus en plus, je sens que j’étouffe dans ses câlins et je la repousse, parfois violemment. Je lui explique, lui parle de la notion de corps, de consentement. Elle comprend assez vite. Enfin, je me sens libre de mon corps. Je peux choisir quand il est en contact avec un autre corps, et quoi en faire. Le tatouage a aussi boosté ce sentiment de repossession de mon corps.
Comment aurais-je pu me préparer aux difficultés dans mon couple ? À ces difficultés pour communiquer alors que je pensais que la communication était la base de notre couple ? À l’explosion des inégalités dans mon couple, pas tant sur les tâches domestiques, mais surtout sur la charge éducative, affective et mentale ? À l’impression d’être seule, de ne pas être soutenue ?
Comment aurais-je pu me préparer à tous ces renoncements ? Les voyages, les sorties, le sport, les moments pour moi. Vais-je devoir renoncer à mon travail à temps plein, la seule chose actuellement qui m’apporte un sentiment d’accomplissement?
Comment aurais-je pu me préparer à avoir l’impression de ne plus exister, que mes envies doivent passer après tout le monde ?
Comment se préparer à cette colère permanente ? Envers ma fille quand elle s’affirme, envers mon conjoint, envers toute la paperasse, envers la crèche qui ferme plus tôt, envers tous ces gens pour qui tout à l’air si facile, envers le patriarcat, envers cette société qui abandonne les familles sans soutien proche.
Comment aurais-je pu me préparer à mettre à terre mon idéal de famille ?
Deux enfants, pas trop éloignés en âge : voilà ce qu’était pour mon idéal pour notre famille. Si j’étais enceinte d’ici quelques mois, mes enfants pourraient avoir 3 ans d’écart. Ça serait idéal !
Mais c’est impossible. Je n’ai pas la force : pas la force de revivre une grossesse qui ne me plairait pas, pas la force de risquer un accouchement pas aussi bien que celui que j’ai vécu, pas la force de jouer à la loterie sur la santé de mon enfant, pas la force de revivre une année de congé parental, pas la force de risquer de perdre le peu de santé mentale qui me reste, pas la force de risquer l’explosion de mon couple, pas le force de voir mon corps m’échapper de nouveau.
Mais j’ai du mal à l’accepter. Ainsi, quand une amie, ayant son premier enfant quelques semaines avant moi, m’a appris sa seconde grossesse, ça a été difficile. J’ai eu l’impression d’échouer, de ne pas être aussi forte qu’elle ou que ma mère qui a eu 5 enfants en 5 ans.
Comment aurais-je pu me préparer à cette culpabilité constante ? À ce sentiment d’échec permanent ? À cette impression de ne pas y arriver ? De ne pas être aussi forte que les autres ? De ne pas arriver à réfléchir à ma carrière tout en m’occupant avec joie de ma fille ?
Aurais-je dû lire plus ? Mais quoi ? Existe-t-il vraiment des livres sur ces sujets ? Ou des témoignages ? Un effort est fait ces dernières années pour libérer la parole. Des livres comme le récent « Choisir d’être mère » de Renée Greusart (sorti trop tard pour moi) m’auraient été utiles.
Mais les aurais-je vraiment lus ? Si personne ne me les avait conseillés ou offerts, sûrement que non.
Aurais-je dû écouter mes amies ayant déjà des enfants ? Oui sûrement, mais comment ? Une seule de mes amies proches a eu un enfant avant moi et personne dans ma famille proche.
Comment se rendre alors compte du quotidien ? Aurais-je dû lui poser plus de questions ? Je ne l’ai pas fait. Je me protégeais sûrement : elle a eu son premier enfant alors que j’essayais d’être enceinte. C’était un moment où le spectre de l’infertilité et de l’endométriose étaient présents dans mon cerveau. Je me protégeais de la tristesse.
Et après une fois enceinte ? Bonne question. Sûrement, je pensais que ça serait différent pour nous. Mais non, j’ai l’impression d’avoir échoué là dessus.
Mais toute la faute est-elle seulement la mienne ? Est-ce vraiment à moi, encore une fois, de me renseigner ? Déjà nous sommes deux à faire un enfant. Nos parents auraient aussi pu nous préparer. Mais se rappellent-ils des difficultés ?
Les médias mais aussi les écrivains ne devraient-ils pas arrêter systématiquement d’encenser les superwoman mais aussi présenter les histoires banales des femmes et leurs difficultés ? La société ne devrait-elle pas apporter plus de soutien aux parents, en particulier aux mères, plutôt que d’ajouter de la pression comme si bien illustré par momlife_comics ?

Merci à B. pour son témoignage. Article relu par @mamaorhum, @camilledrnd, @ponoodle et @bebatut. Photo de Ksenia Chernaya disponible sur Pexels
Article intéressant mais trop de fautes d’orthographe 🤦🏽♀️ Dommage 😢
J’aimeJ’aime
Bonjour ,
Merci du retour.
En effet, il reste souvent des fautes, nous ne sommes ni professionnelles de littérature ni blogueuses à plein temps. Pour chaque article /témoignages , nous avons au minima 2 relectrices pour essayer de faire des premiers retours et corriger justement la grande orthographe. Mais nous sommes aussi prises par ailleurs, embarquées par des tâches parentales, parfois malades (coucou Covid).
Bref un billet parfait n’est pas à la portée de tous mais nous espérons que le message reste tout de même intéressant pour certaines /certains.
J’aimeJ’aime