Ma grossesse en Angleterre

Alors que j’étais enceinte, le futur papa et moi avons commencé à regarder « Call the midwife » , une série anglaise qui suit un groupe de sages-femmes pendant les années 50-60. Nous avons vite arrêté (il existe des séries bien plus intéressantes) mais notre conclusion était sans appel, rien n’a changé au pays des Lords.

Avertissement : ceci décrit un parcours tel qu’offert par le NHS, le système de sécurité social anglais, qui offre un suivi médical sans charge et adopté par une large majorité de la population. Il existe bien sûr des suivis payants et alternatifs, que je ne connais pas assez pour décrire ici. Les protocoles varient légèrement d’une autorité locale (trust) à une autre.

Le suivi

Un cabinet médical, 10h du matin, 2 jours après un test de grossesse positif, Mama O’Rhum rencontre son médecin traitant :

– Bonjour Docteur, je crois que je suis enceinte
– Vous essayez d’avoir un enfant?
– Yes, sir
– Vous avez fait pipi sur un test?
– Yes, sir
– Et bien félicitations, vous êtes enceinte, mais je ne peux rien faire pour vous
– Euh? Mais? Euh? Whaaat?

Bien que l’exactitude des dialogues ne soit pas garantie, cette scène ne relève pas de la fiction. Être enceinte en Angleterre n’est pas une condition médicale et le médecin généraliste refuse de traiter tout ce qui concerne la grossesse. D’ailleurs si vous êtes enceinte, excepté pour des problèmes de santé graves, vous ne verrez aucun médecin même pendant l’accouchement!

Le suivi en soi

En début de la grossesse, il faut s’inscrire dans un centre de sages-femmes près de chez soi. Cette équipe de sages-femmes va faire tout le suivi, mais avec potentiellement une sage-femme différente à chaque rendez-vous Cette équipe est rattachée à une maternité où vous serez transférée directement au moindre pépin. Vous ne pouvez choisir ni le centre de sage-femme ni la maternité de rattachement, en province en tout cas. Voir le guide anténatal du NHS sur la prise en charge et sa mise en place.

À la suite de l’enregistrement, est fixé un premier rendez-vous avec une sage-femme. Celui-ci dure environ vingt minutes : prise d’antécédents, explication du suivi, délivrance du livret orange qui vous suivra durant toute la grossesse.

Ce livret, c’est votre bible. Il doit vous suivre à chaque consultation pendant la grossesse, durant l’accouchement et jusqu’à la fin du suivi post-partum. Chaque analyse, test, examen ou monitoring y est soigneusement imprimé et ajouté (collée avec de la colle UHT) jusqu’à en faire un petit monstre qui déborde. Il contient donc toutes les informations sur la grossesse et son suivi. Comme aucune de ces données n’est enregistrée électroniquement, ce livret est donc très important et est typiquement la seule transmission de donnée quand vous arriverez sur le lieu d’accouchement.

La plupart des informations sont données par écrit (via des feuilles collés dans le livret orange). Les sages-femmes ne sont pas là pour expliquer, et d’ailleurs elles manquent rapidement d’informations pertinentes.

Après ce premier rendez-vous, vous aurez 9 (pour un premier bébé) ou 6 autres rendez-vous pendant votre grossesse, sauf complication. À chaque rendez-vous, ce sera test urinaire et prise de tension, ça dure donc en moyenne 5 minutes. Les rendez-vous deviennent plus longs seulement en toute fin de grossesse, avec mesure du ventre et parfois monitoring du cœur du bébé.

Il y a seulement deux échographies : une à trois mois (12 semaines) et une plus détaillée à cinq mois (20 semaines). Une troisième échographie est possible au 8e mois mais seulement en cas de complication (ventre trop gros, diabète, placenta mal placé, etc.). Cela a été mon cas : le placenta était trop bas lors de la deuxième échographie, avec un risque de placenta preavia, mais une échographie à 38 semaines a écarté ce risque.

Les tests durant la grossesses sont un peu différents qu’en France. Il n’y a pas de test de toxoplasmose, même si on vit avec un chat. Il n’y a pas de tests sanguins hormonales pour affiner la date de conception. Un test de diabète est proposé en fonction des antécédents et des risques de la mère.

Mon suivi

Mon suivi a donc démarré avec le premier rendez-vous sage-femme vers 8 semaines. Dès le début, j’ai été assez déçu du manque de suivi. Mon deuxième rendez-vous avec la sage-femme a eu lieu deux mois plus tard (à 15 semaines) puis deux mois et demi plus tard (25 semaines). Après ça ils sont devenus plus réguliers.

Ne pas avoir de confirmation par analyse de sang au début m’a beaucoup travaillé et je ne me suis sentie enceinte qu’après la première échographie à trois mois. D’ailleurs, on ne reçoit la carte de femme enceinte (qui donne accès à divers services) seulement après la première échographie. Le suivi m’a paru très léger et peu rassurant pendant toute la grossesse, surtout avec l’absence de lien et de relation de confiance due au changement constant de sage-femmes. J’en ai vu 5 différentes durant ma grossesse (sans compter celles à l’hôpital) et certaines étaient carrément froides et pas sympas.

Lorsque j’ai commencé à avoir des complications à 7 mois, j’ai été envoyée directement à l’hôpital bien que c’était seulement de l’hypertension. À partir de là, j’ai alterné entre visites de routine au cabinet de sages-femmes et des allers-retours à l’hôpital (dès que ma tension était trop haute lors des visites de routine). Avec toujours des sages-femmes différentes et aucun médecin dans l’équipe. Un médecin obstétrique est en effet responsable de la décharge de l’hôpital mais n’assure pas le suivi entre plusieurs admissions, et le généraliste non plus.

Le tout a été confus, sans complaisance et généralement effrayant plutôt que rassurant. J’ai quand même pu valider mon projet de naissance à 38 semaines avec une des sages-femmes.

Préparation à l’accouchement

Le NHS offre un cours de préparation à l’accouchement de deux après-midi (2x3h), dispensées dans mon cas par une sage-femme et une kinésithérapeute spécialiste. La première session avait pour thème l’accouchement, et la deuxième le post-partum (allaitement, soin du bébé, récupération).

Cette mini-préparation à l’accouchement m’a semblée nécessaire pour comprendre les choix possibles pour l’accouchement et rédiger le projet de naissance. Mais cela aurait pu être dispensé en 1h.

La kinésithérapeute a aussi mis la pression toutes les parturientes, en leur faisant comprendre que les complications de grossesse, d’accouchement ou de post partum étaient souvent dues à une mauvaise préparation et un manque d’exercice. Ainsi, selon elle, les femmes qui ne faisaient pas assez bien leurs exercices seraient seule. Il faut savoir que même cas de naissance avec instruments (forceps ou ventouse par exemple), aucune rééducation n’est offerte le NHS. Il faut s’adresser à des solutions privées, inaccessibles pour la plupart des femmes.

Accouchement

Le NHS propose trois lieux possibles d’accouchement:

  • À la maison. Un•e sage-femme NHS spécialisée viendra chez vous pour vous aider.
  • En maison de naissance. Les maisons de naissance sont tenues par des sages femmes, avec au minimum 2 sages femmes présent•e•s sur place. Elles peuvent être accolées à une maternité. Elles possèdent des salles de naissances, souvent grandes et largement équipées pour des accouchements physiologiques. Lors d’un accouchement en maison de naissance, il faut rentrer chez soi le jour même (souvent deux heures après l’accouchement) car il n’y a pas de chambres.
  • À la maternité/hôpital, rattachée au NHS (les maternités privées n’existant pas en dehors de Londres)

Le NHS a mis en place plusieurs politiques en faveur de l’accouchement non médicalisé, ou avec un minimum d’intervention. Le NHS encourage ainsi fortement ainsi aux femmes de considérer l’accouchement à la maison ou en maison de naissance. Cela se reflète dans les discours des sages-femmes, lors du suivi et de la préparation. Cependant, l’accouchement à la maison ou en maison de naissance est déconseillé en cas de grossesse à risque (les plus communs: âge de la mère, diabète, grossesse multiple, obésité). Les transfert pendant l’accouchement sont aussi fréquents (source: NHS) :

  • taux de transferts de la maison vers l’hôpital : 45% pour un premier accouchement, 12% pour un deuxième ou plus
  • taux de transfert d’une maison de naissance vers l’hôpital : 40% pour un premier accouchement, 10% pour un deuxième ou plus.

Pour l’accouchement, chaque parturiente doit écrire un plan de naissance qui sera sérieusement pris en compte par l’équipe d’accompagnement. En effet, le NHS offre plusieurs méthodes d’accompagnement pendant l’accouchement :

  • L’accouchement physiologique, ou accouchement sans intervention d’un médecin (pas de péridurale, perfusion, ventouse ou forceps).
    Les accouchements en maison de naissance ou à la maison se doivent d’être physiologique car aucune de ces interventions ne peut y être pratiquées. Il est tout à fait possible de pratiquer un accouchement physiologique en maternité, car les sages-femmes y sont formé•e•s et le pratique très régulièrement. Les méthodes de contrôles de la douleurs offerts par le NHS pour un accouchement physiologique sont :
    • Le gaz hilarant
    • Le bain
    • Les électrodes
    • Le paracétamol
    • Péthidine (un antalgique opioide)
  • L’accouchement en maternité, avec péridurale : En plus des techniques citées ci-dessus, il est possible de demander une péridurale lors d’un accouchement en maternité ou d’avoir recours à d’autres traitements par perfusion.
  • La césarienne programmée : Il est possible de choisir d’accoucher directement par césarienne, avec ou sans raison médicale. Il faut cependant souvent négocier avec l’équipe locale en cas de volonté d’accoucher par césarienne sans raison médicale.
  • Le déclenchement : le déclenchement a lieu dès 40 semaines + 4 jours (variable selon les trusts). Un décollement de membranes est proposé par la sage-femme locale (par exemple, tous les deux jours à partir de 40 semaines ou avant en cas de complication). Pour un déclenchement plus efficace à l’hôpital, le protocole propose un propess pour commencer le travail, une injection d’ocytocine pour accélérer le travail et/ou la rupture de la poche des eaux pour accélérer le travail.

Pour se faire une idée des possibilités, voici les chiffres des naissances pour l’hôpital où j’ai accouché (reconnu comme un bon hôpital avec 6 000 naissances par an) juste avant le Covid. Sur 443 naissances (Janvier 2020, mais représentatif des autres mois):

  • Localisation de l’accouchement
    • 2% d’accouchements à la maison
    • 11% d’accouchements en maison de naissance
    • 42% en salle d’accouchement en maternité
    • 45% d’accouchements en salle d’opération
  • Type d’accouchement
    • 49% d’accouchements par voie basse sans intervention
    • 12% d’accouchements par voie basse avec intervention (ventouse, forceps, etc.)
    • 22% de césariennes d’urgence
    • 17% de césariennes programmées

Mon accouchement a été compliqué. Après avoir perdu les eaux, j’ai été déclenchée par perfusion d’ocytocine. A suivi un long travail et une césarienne d’urgence. Pendant les 20h de mon travail, j’ai été suivie par trois sages-femmes (à cause des gardes de 12h), qui sont restées en permanence avec moi. J’ai ensuite eu le droit à une équipe médicale complète et bienveillante pendant la césarienne, pendant laquelle j’étais consciente et à laquelle le père a pu assister. J’ai pu faire un long peau à peau directement après la naissance pendant que l’équipe me recousait. Malgré des circonstances défavorables, l’accouchement s’est donc bien passé (maman ok, bébé ok).

Le post partum

Le NHS souhaite que les femmes rentrent rapidement à la maison : le jour même pour des accouchements physiologique ou dans les 24h pour des naissances avec interventions. Dans mon hôpital, tous les premiers accouchements étaient encouragés à rester 24h, incluant les accouchements par césarienne sauf si complication autre pour la mère ou le bébé. Les mères et les bébés dorment dans des chambres de 6 ou 8 lits (donc 6/8 mamans + 6/8 bébés dans la même chambre) sauf en cas de suivi particulier et de rares places disponibles dans des plus petites chambres.

Pendant ces 24h, l’hôpital ne prend pas en charge la mise en route de l’allaitement ou l’enseignement des soins du bébés. Une fois de retour à la maison, une sage-femme vient ensuite à domicile à 3, 5, 8 et 15 jours pour vérifier que tout va bien pour la mère et le bébé.S’il n’y a pas de complications, la décharge est complète à 15 jours. Aucun suivi n’est proposé ensuite, ni rééducation. En cas de césarienne un rendez-vous chez un généraliste est proposé après 6 semaines, pour vérifier la cicatrisation et répondre aux éventuelles questions.

Il va sans dire que j’ai trouvé le suivi post-partum affreux. Après une césarienne et des complications, j’ai passé quatre nuits supplémentaires en maternité qui ont été traumatisantes : des équipes pas sympas qui ne sont « pas là pour s’occuper du bébé », des locaux vétustes et sales, un père loin d’être le bienvenu, puis un retour à la maison alors que je me sentais encore toute cassée. Et débrouille-toi!

Ma conclusion

Après mon expérience et des discussions avec d’autres jeunes parents, je suis convaincue que la grossesse en Angleterre peut convenir si tout se passe bien. Le NHS offre un suivi d’accouchement « naturel » intéressant qui peut manquer en France. Pour le reste, je ne m’y suis pas du tout retrouvée. J’ai trouvé l’expérience peu rassurante, voir effrayante à certain moment, des structures qui manquent de financements avec des interlocuteurs sous-qualifiés et peu engagés de bout en bout (accouchement excepté, là l’équipe a vraiment été top).

Article relu par @camilledrnd et @bebatut. Photo par Bérénice Batut, disponible sur Flickr.

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